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   eu importe combien vous donnez, c’est le geste qui compte”. Cette phrase qui accompagne souvent les appels au don témoigne d’une vision largement répandue de l’altruisme : un geste désintéressé conduit par les émotions, où l’intention importe plus que tout.


Pourtant, un élément préoccupe tout de même les donateurs : ont-ils aidé autant qu’ils le pouvaient en versant 100 euros à cette association américaine qui élève des chiens d’aveugles ?

    eut-être ces donateurs auraient-ils sauvé plus de vies en donnant la même somme à un organisme luttant contre l’extrême pauvreté. En effet, un traitement d’une valeur de 20 à 50 euros suffit pour soigner le trachome, une maladie infectieuse qui rend aveugle, particulièrement développée en Afrique et en Asie du Sud. En revanche, il faut compter 40.000 euros pour élever un seul chien d’aveugle.


C’est en effectuant ce type de calcul qu’un altruiste devient un altruiste efficace. Ce dernier s’assure que chaque somme donnée sauve le maximum de vies possibles. Autrement dit, il maximise la rentabilité de son don.

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L'altruiste efficace s'assure que chaque somme donnée sauve le maximum de vies possibles.

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     our ce faire, l’altruiste efficace cible les plus importantes causes de pauvreté et de misère dans le monde. C’est là que son don est susceptible de faire la différence -et c’est Bill Gates qui le dit :


“Nous intervenons dans n’importe quel pays où une vie peut être sauvée pour quelques centaines de dollars, où notre action peut réduire considérablement le nombre d’enfants qui meurent. Il s’avère que les pays dans lesquels c’est possible sont les pays les plus pauvres.”

(Source : Why Bill Gates fights diseases abroad, not at homeNational Public Radio)


En donnant l’exemple, le milliardaire américain contribue à propager l’idée qu’un don peut et doit être efficace. Mais c’est surtout le philosophe australien Peter Singer qui l’a théorisée.


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  our ce professeur de bioéthique considéré comme l’un des penseurs contemporains les plus influents au monde, l’altruisme doit être “une combinaison du coeur et de la raison”. Se contenter de donner sous le coup de l’émotion ne suffit pas. “Les donateurs doivent se rendre compte qu’ils peuvent faire plus de bien en aidant des gens qui se trouvent à l’autre bout de la planète” plutôt qu’en donnant à des associations culturelles près de chez elles, par exemple.



En raisonnant ainsi, Peter Singer accorde davantage d’importance aux conséquences du don qu’à ses motivations : il évoque un don intéressé et se réfère à la philosophie utilitariste, pour laquelle “une action est bonne si elle a les meilleures conséquences possibles pour tout ceux qui en sont affectés”, à savoir “celles qui augmentent le plus le bien-être, par exemple en propageant le bonheur contre la misère.”



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      hez Peter Singer, l’utilitarisme devient même un principe de vie. Rester immobile face aux milliers d’enfants décimés chaque année par la malnutrition est aussi discutable que de vendre un enfant à des trafiquants d’organes. “Quelles est la distinction éthique entre ces deux situations ?”, s’interroge celui qui aime remettre en question notre conception de la vie en réclamant un peu de cohérence. Qu’elle soit sous nos yeux ou à l’autre bout de la planète, il est impossible de prétendre mener une vie éthique tout en ignorant la misère du monde.

 

Cet appel à la cohérence se traduit aussi par des prises de positions novatrices et très controversées, par exemple sur le statut des animaux. Comme nous, ils souffrent. Il faut donc repenser leur statut, explique Peter Singer dans La libération animale. À l’inverse, “un nouveau né de quelques jours n’a pas la conscience de son existence”, observe-t-il dans Practical Ethics. “Sa vie a ainsi moins de valeur que celle d’un cochon, d’un chien ou d’un chimpanzé”. Une pensée sans tabou, qui vaut à ce penseur de l’éthique appliquée des critiques virulentes de la part de ceux qui tiennent la vie humaine pour sacrée.

 

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       e concept d’altruisme efficace séduit de plus en plus de personnes dans le monde anglo-saxon. En 2007, deux traders américains ont même décidé de classer les associations selon leur efficacité en appliquant les méthodes d'investissement utilisées dans le secteur financier. Holden Karnofsky et Elie Hassenfeld ont abandonné leur carrière chez Bridgewater Associates, l'un des plus importants fonds d'investissement au monde, pour fonder GiveWell


Ainsi la première est la fondation contre la malaria (AMF) qui distribue par exemple des moustiquaires imbibées de répulsif. Celles-ci éloignent les moustiques porteurs de la malaria (ou paludisme) et ne coûtent que cinq euros. Mais l’association manque cruellement de fonds pour venir en aide à la moitié de la population mondiale exposée au paludisme. Le moindre don à l’AMF sera donc très utile, explique Give Well en mobilisant le concept économique d’utilité marginale.


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         es deux fondateurs de Give Well ont donc choisi de se retirer de la finance pour consacrer leur temps à la philanthropie. Pourtant, ils auraient pu, comme Jason Trigg, mener les deux activités de front. Fraîchement diplômé, ce jeune informaticien a choisi la carrière qui paye le plus : trader à Wall Street. Mais ses revenus mirobolants -bien au-delà de 100.000 dollars par an- ne s’envolent pas en vacances à Tahiti. Jason Trigg s’empresse de donner la moitié de son salaire à une association efficace. Pour "faire la différence", rien de mieux, qu'une carrière qui rapporte, explique-t-il.


Matt Gibb fait le même constat. Mais il a préféré s’engager dans les nouvelles technologies. Un secteur où, à l’instar des Marc Zuckerberg (31 ans) assis sur une montagne de 33 milliards de dollars ou Larry Page (42 ans) et ses 29 milliards de dollars en poche, on peut très vite devenir très riche. De son côté, Matt Gibb a décidé de reverser un tiers du produit de la future vente de sa start-up à des associations efficaces.

 

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      e Français Alexandre Mars a décidé de faire de même. Ou plus exactement, cet entrepreneur du digital utilise les revenus dégagés par ses start-up pour financer sa propre fondation. Celle-ci étudie les candidatures de quelques 1.400 organisations pour présenter les vingt plus efficaces d’entre elles à des donateurs potentiels.


Cependant, la comparaison entre la Fondation Epic d’Alexandre Mars et Give Well s’arrête là. Pour le Français parti s’installer à New-York, “certaines personnes préféreront toujours aider leur propre communauté. Il faut diriger l’argent là où les donateurs le souhaitent”.  


L’équipe de la Fondation Épic sélectionne donc les organisations caritatives les plus sérieuses dans six régions du monde : le Brésil, l’Inde, l’Asie du Sud Est, l’Europe, les États-Unis et l’Afrique de l’Est.


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En combinant le coeur et la raison, le même instinct de bonté peut atteindre

un plus grand nombre de personnes et permettre de trouver de réelles solutions.

DONNER SOUS LE COUP DE L'ÉMOTION

DONNER DE FAÇON RÉFLÉCHIE

1946 : Naissance en Australie

1971 : L’essai Famine, richesse et moralité sera décisif pour la carrière du philosophe

1975 : Publication de "La libération animale", qui le rend mondialement célèbre

1996 : Candidature au Sénat australien sous la bannière des Verts, sans succès

1999 : Nomination comme professeur de bioéthique à Princeton University

2009 : Peter Singer apparaît parmi les cent personnalités les plus influentes au monde

Même un don de dix ou vingt euros aux quatre associations les plus efficaces sélectionnées par Give Well permettra de sauver une vie. C’est la preuve que tout le monde peut donner.


Crédit : Clay Shnokwiler via Flickr

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En 2014, 49% des 10,2 milliards de dollars reversés à des ONG par les cinquante plus grands philanthropes américains viennent de la poche des entrepreneurs de la tech. Surtout, ces startupers n’attendent plus leur retraite avant de donner. Trois des moins de 40 ans du classement ont ainsi donné plus de 500 millions de dollars chacun.. (Source : The Philanthropy 50.)


Crédit : Reuters

Alexandre Mars en est persuadé, "beaucoup de personnes sont prêtes à donner". Mais souvent, elles ne savent pas à quelle association faire confiance et manquent de temps pour rechercher une organisation convaincante.


Crédit : The Epic Foundation


L’ALTRUISME, UNE AFFAIRE

DE BONNES INTENTIONS ? 

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CERTAINS DONS PLUS

UTILES QUE D'AUTRES

BILL GATES, PIONNIER

DE L'ALTRUISME EFFICACE

PETER SINGER : UN PHILOSOPHE SANS TABOU

DES CALCULS COMPLEXES POUR UN DON PLUS EFFICACE

ALEXANDRE MARS OU LA PHILANTHROPIE

À LA FRANÇAISE

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       out comme il a remarqué qu’il fallait être à l’écoute des donateurs, Alexandre Mars a identifié parmi eux une catégorie spécifique : les entrepreneurs et les entreprises.


"Avec la notion de responsabilité sociale d'entreprise (RSE), ces dernières donnent de plus en plus", s'enthousiasme-t-il en évoquant même une "nouvelle génération de philanthropes". "Les entreprises peuvent donner un certain pourcentage de leurs profits, de leurs produits ou même du temps de leurs salariés".


Cette dernière proposition -donner du temps des salariés- a la préférence de Peter Singer : “Je ne sais pas si on peut vraiment qualifier une entreprise "d'altruiste". En revanche, ses employés peuvent devenir des altruistes efficaces eux-mêmes et faire le bien au travers de ses activités”.

La chancelière allemande Angela Merkel sert la soupe lors d’une visite au sein de l’association humanitaire de l’Ordre de Malte. Son pays a dédié 0,41% de son revenu national brut à l’aide publique au développement en 2014, loin derrière la Suède et le Luxembourg, premiers donateurs mondiaux. (Source : Statistiques de l’aide au développement 2014, OECD)


Crédit : Reuters


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Certaines personnes préféreront toujours aider leur propre communauté. Il faut diriger l’argent là où les donateurs le souhaitent.

DE LA FINANCE 

À LA PHILANTHROPIE  

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Ces sacs posés par des manifestants brésiliens devant le Congrès National de Brasilia symbolisent les sommes versées par certaines grandes entreprises aux partis politiques. Et si, au contraire, les entreprises donnaient efficacement ?


Crédit : Reuters

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ENTREPRISES : MOINS DE PROFIT, PLUS DE DONS ?

Donner 500€ à une association qui lutte contre la cécité, c’est éviter à 10 personnes de contracter le trachome, une maladie infectieuse qui rend aveugle, particulièrement développée en Afrique et en Asie du Sud.

Mais il faudrait la participation de 80 donateurs, à raison de 500€ chacun, pour élever 1 seul chien d’aveugle aux États-Unis.


Crédit : Infographie via Infogr.am

Depuis sa création en 1997, la fondation Bill & Melinda Gates a déboursé 28,3 milliards de dollars pour lutter contre l’extrême pauvreté et améliorer l’accès à l’éducation aux États-Unis.

COMBINER LE COEUR ET LA RAISON POUR FAIRE PLUS DE BIEN

Nous essayons trop souvent d’atténuer la souffrance de ceux qui sont immédiatement sous nos yeux en donnant de façon impulsive.

À l’inverse, nous devrions reculer d’un pas pour avoir une vue panoramique

du problème et comprendre ses causes sous-jacentes. Ainsi, nous pouvons prendre des décisions réfléchies sur la façon de maximiser l’impact de notre effort.

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             ais pourquoi donner alors qu’une partie de l’impôt collecté par l’État sert justement à verser une aide aux pays en développement, rétorqueront certains. Tout d’abord parce que cette aide est insuffisante pour lutter contre l’extrême pauvreté, observe Peter Singer. Surtout, elle ne cible pas les plus pauvres. Aux États-Unis, elle est orientée par des questions politiques, estime le philosophe.


Comment expliquer autrement que 66% des 32 milliards de dollars d’aide versés en 2012 soient uniquement dirigés vers l’Afghanistan, le Pakistan, Israël, l’Irak et l’Egypte ? Ces pays sont en difficulté mais ne figurent pas forcément parmi les plus pauvres au monde. Et pourquoi le processus d’aide serait-il structuré de façon à générer de l’activité pour les entreprises des pays donateurs, en dépit d’alternatives plus efficaces ?


L’aide versée via les impôts étant insuffisante, Peter Singer préconise donc de donner individuellement. Et il place la barre haut, en appelant à verser un tiers de son revenu à des associations efficaces.

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L'ÉTAT, L'IMPÔT

ET L'ALTRUISME

LE MONDE DE L'EXTRÊME PAUVRETÉ

      ivre dans l’extrême pauvreté, c’est vivre avec moins de 1,25 dollars par jour. En 2011, 17 % de la population mondiale vivait sous ce seuil, c’est-à-dire un peu plus d’un milliard de personnes, selon les dernières données disponibles de la Banque mondiale.

Cet indicateur est calculé à partir de la moyenne des seuils de pauvreté nationaux des quinze pays en développement les plus pauvres du monde et s’exprime en parité de pouvoir d’achat (PPA).

 

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AUTEUR


Juliette BOULAY

@juliettebly

DIRECTION DE LA RÉDACTION


Robert JULES

@rajules

CONCEPTION

 

Kévin JUNG

Elodie BRINGUIER

​Julie BONNEL

Tout le monde peut donner. Ici, un enfant glisse un billet de cinq euros au centre éducatif culturel Gréco-Arabe de la banlieue d’Athènes, lors de l’appel au don qui suit la prière du vendredi.

 

Crédit : Reuters

       a France a donné l’équivalent de 0,36% de son revenu national brut en 2015, quand les objectifs du Millénaire pour le développement préconisent d’en allouer au moins 0,7%. La moyenne de l’aide publique au développement de tous les pays donateurs se situe à 0,29% du revenu brut global.

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Un immigrant africain enveloppé dans une couverture se repose sous une tente de la Croix Rouge.


Crédit : Reuters

Les donateurs doivent comprendre qu’ils peuvent faire plus de bien en aidant des gens qui se trouvent à l’autre bout de la planète.

L'extrême pauvreté dans le monde. (Source : Banque Mondiale données 2011)

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LES NOUVEAUX

HABITS DE LA

PHILANTHROPIE :


L'ALTRUISME

EFFICACE

      omment réduire l'extrême pauvreté

         dans le monde avec un minimum de ressources ? Pour résoudre cette équation, chaque dépense - de temps ou d'argent - doit être allouée de façon à faire le plus de bien possible. Explications.

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